Ce monde est à gerber.
Ou bien je me suis trop imprégnée d’histoire, de l’Histoire, car aujourd’hui je ne vois plus que décadence tout autour de moi. Voilà une entrée en matière qui pourrait en rebuter plus d’un à l’évidence mais dont j’assume la brutalité. Dans l’hypothèse où mes écrits seraient un jour publiés, je devrais peut-être commencer par me présenter, dire qui je suis et d’où je viens... Un ami cartographe, qui voyage énormément, trace les contours des contrées avec plus ou moins de précision selon à qui il veut vendre son œuvre et, visiblement, il s’accommode très bien de sa réputation. Je ne crois pas que je pourrais m’en satisfaire car j’ai à cœur de toujours faire impeccablement tout ce que j’entreprends. C’est une tradition familiale, mais hélas je ne peux pas encore m’en prévaloir.
Car c’est là un des soucis. Le d’où je viens ne peut être explicité qu’en entrant dans les détails d’une affaire sordide de succession et de trahison qui pourraient s’avérer dangereux mais je ne sais pas encore de quelle manière.
On peut tout de même savoir, principalement à cause de mon accent, que je suis née à Gorowyn et que j’y ai passé le début de mon existence. Comme tous les non-sarnak, je reste une étrangère en ces lieux. Cela peut être d’autant plus douloureux que jusqu’à il y a peu je ne connaissais que cet endroit et la région aulentour. Après le départ de mes géniteurs, j’ai dû ma survie à quelques rares esprits libres. Des personnes particulièrement érudites et sages qui m’ont transmis leur passion pour la connaissance également, et dont je tairai les noms pour le moment. Ces gens de bien m’ont tenue au secret et élevée un certain temps mais n’ont pas pu me protéger totalement de la société sarnak. J’ai tout de même échappé à la cuve : on fait littéralement mûrir les nouveaux nés dans des cuves jusqu’à leur maturation physique… Vous pouvez comprendre à quel point ses créatures sont au départ démunies de tout sens pratique réel ou de subtilité. La plupart, en sortant de leur cocon de métal ne sont que ce qu’ils sont aux yeux des miens : des expérimentations ratées avec beaucoup de force et pratiquement pas de cervelle. Certains s’en sortent moins bien que les golems de chair du tristement célèbre Varsoon, c’est dire. Avec le temps les choses s’améliorent doucement bien entendu. Et fort heureusement, certains s’en sortent au final plus qu’honorablement, parvenant à se forger une âme et une pensée. Vous l’aurez compris, ce sont surtout ceux-là que j’ai cherché à fréquenter.
Quand je fus en mesure de taire un secret, mes gardiens m’expliquèrent ce qu’ils savaient de mes origines, c’est-à-dire fort peu de chose en réalité. Ce sentiment diffus d’appartenir à quelque chose de plus grand que moi, ailleurs, m’a permis de supporter les remarques désobligeantes et les vexations fréquentes dont je fus l’objet. J’ai donc fait mes classes comme il se doit et écumer les montagnes de Timourous avec un succès très relatif. Comme je ne pouvais pas rivaliser avec les brutes griffues qui m’entouraient j’ai dû développer d’autres techniques.
Lun 17 Juil 2017 - 16:32